Hypothèses de travail

Oscillations


« Malheureusement, cette recherche doit être précédée d’un coup d’œil sur ma position. »
Jean-Jacques Rousseau


Photographier, écrire. Ne pas chercher nécessairement des liens entre ces deux activités, mais admettre avec quelles difficultés j’ai dû accueillir ces deux projets. L’aménagement du temps pour mener à bien la tâche de l’œil et celle du langage suppose une anticipation des moyens mis en œuvre pour trouver un équilibre entre des formes saisies au hasard des errances et ce contrôle périlleux qui est la condition pour que l’écriture soit possible. Mais cet équilibre est toujours difficile à atteindre, comme si ces deux pratiques étaient en lutte et me poussaient à chercher des réponses d’une nature différente et contradictoire. Il y a d’un côté le rêve d’une écriture blanche où le monde affleurerait par allusions, et de l’autre, un idéal photographique qui se passerait de commentaire dans la mesure où ses figures désorienteraient le langage en l’attirant dans des directions à chaque fois inédites. Passer d’un médium à l’autre est salutaire pour surmonter cette difficulté. L’écriture me fait parfois penser à la vie d’un malade contraint de garder la chambre et cet enfermement est toujours menacé par un échec : ne pas faire entrer le monde dans la chambre. Cependant, je dois avouer que cette expérience désarmante d’être mis au ban de son travail trouve miraculeusement une réponse dans ces retours d’images. Photographier devient alors un impératif : chasser l’écriture, revenir au monde et retrouver peut-être un état sauvage en espérant que le réel sera plus riche et prometteur que l’intérieur de sa tête. Photographier, pour reprendre la belle formule d’Henri Michaux, devient une façon imparable de « se déconditionner du verbal ». Quand la saisie d’images devient conséquente et que j’ai pu accumuler des morceaux du monde, j’ai le sentiment de me rapprocher d’une douceur qui est celle d’un simple recueillement.

La position d’artiste au sens où je l’entends n’est pas nostalgique d’un temps où le rapport au monde n’était médiatisé que par un désir d’adhésion sentimentale aux choses : elle cherche à restituer cette tension entre proximité et éloignement, participation et exclusion, tension constamment vécue et expérimentée via la photographie. Il y a lors de ces sorties dans le monde, le souci d’être touché, sans jamais rien prévoir, ce qui suppose un état d’esprit difficilement compatible avec la vie que nous menons aujourd’hui. L’occupation déprimante du temps, sa compression dans un emploi du temps qui rend les artistes bureaucrates de leurs œuvres ne facilite pas cette recherche et je suis moi-même la première victime de cette image d’artiste pressé à laquelle on n’échappe pas quand on a suivi une formation académique.

Photographier dans le temps, contre l’époque.

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