portrait sans visage


Je suis belle, je suis laide, c’est selon. L’épreuve des miroirs est un rituel auquel je me risque chaque jour qui passe — ils m’abîment, me rassurent ; je ne sais cependant jamais quelle distance choisir face à eux ; je peux être tentée de me rapprocher pour scruter la surface de mon visage en repérant les signes du temps — l’imminence d’une ride qui creuse doucement ma peau, une rougeur sur la joue qui ne part plus — mais cette exposition trop longue à mon image fait trembler mon corps, j’ai peur. Je recule alors d’un pas comme si j’étais traquée. 

À distance, je reprends le contrôle sur cette femme que je me donne enfin le droit de trouver belle parce que je ne la reconnais plus. Je fais sans doute semblant de voir quelqu’un d’autre. Femme nue dont je repère les défauts et les qualités avec la même excitation. J’ai toujours trouvé que mes hanches étaient un peu trop hautes, tout en pensant que j’étais bien faite pour mettre au monde des enfants. On se rassure comme on peut et la nature me donnera un jour raison. Dans cette image sombre et chaude, je regarde mes seins ; aujourd’hui en été, je le trouve très beaux, et je tuerais celui ou celle qui ne voudrait pas les porter dans sa bouche.
 

Équilibre fragile : il suffit qu’un homme s’incruste par accident dans le reflet — celui de ta salle de bains qui est devenu mon laboratoire secret — pour que tout vacille, je voudrais cogner la vitre avec mon poing pour faire disparaître cet homme  et me détruire en même temps. Depuis l'enfance, je suis traversée par ces idées-dragons. En soi, elles ne m’effraient pas. Mais ce qui me terrorise, c’est qu’elles puissent tout à fait s’adapter avec la vie prétendue normale et facile. Ces monstres que je cache sous mon corps ne me font aujourd’hui plus de mal. J’attends de rencontrer un homme pour pouvoir m’en libérer.

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