Sous la pluie



C'est en photographiant ce matin que je me suis aperçu que ce geste était la stricte équivalence de ma façon de vivre et de penser. Je ne prévois jamais ce que je vais faire ou voir, j'avance sans projet, mais je ne donne pas à cette incertitude un quelconque prestige, bien au contraire : je me rends compte à chaque instant qu'un faux pas ou une déconvenue pourrait me faire très mal, mais je prends ce risque, non par conviction, mais parce que je n'ai pas le choix. Heureusement, il m'arrive d'être "illuminé". Je veux dire convaincu qu'une exception se profile dans la "vie" et que je dois y goûter; compter sur elle pour avancer enfin dans une direction qui me ressemble. C'est la lumière juste qui tombe sur le monde. Le reste du temps, je suis aux abords du moyen, dans l'insensibilité, le coeur sec, dans des pensées mesquines, végétant mon aventure intellectuelle absolument pitoyable. Une vie dans le noir. Mais lorsque l'intensité se dévoile à la surface d'une chose ou d'un être, elle me me libère, je suis enfin raccordé par l'amour du monde, et je sens cette vibration du non-sens qui fait du bien - rencontre dérisoire. (Car finalement, ce qui me touche ne comporte en soi aucune exemplarité, je photographie et aime l'incongru.) Je profite ainsi de cette expérience pour me regonfler. Ma chair est brûlante, ma tête, remise à sa place, et c'est peu dire de ce qui provoque cet état : souvent un objet de trois fois rien. Tout est prétexte à toujours autre chose. Il n'y a aucun centre, on se déplace, on anticipe, il faut dire que la mort, de loin, (comme je l'espère !) n'est pas étrangère à cet état de fait, cette mort, cœur fantôme de toutes choses. Cette mort qui laisse à la lumière sa part.


Mais pour combien de temps encore ?








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