fatigué



extraction



On photographie sans doute pour gommer les temps mort. Je ne me souviens de rien. Voilà ce que dit l’image. Tandis que le texte peine à venir. C’est un problème qui n’est pas seulement une affaire de l’intellect. Faire sortir quelque chose  a toujours représenté pour moi une terrible affaire. Facile cependant de parader et d’être un éternel fugitif qui se réfugie dans des actions qui ne lui ressemblent pas. On peut alors se contenter d’une photographie silencieuse. Oui, mais quelle plaie.  Blessures en tous genres. Dans un journal de jeunesse,  j’avais écrit cette phrase hyperviolente en fait : «le réel est une plaie ». Écrit comme ça, très vite. Aussi vite que j’aurais pu photographier n’importe quoi, d’une façon strictement banale.  On désirait pourtant quelque chose. Ardemment. Sans pour autant se déchirer en deux. L’expérience devait être passée sous silence. Au nom d’une clarté et d’une simplicité requise. « Tu es bon dans les détails. Tu sais raconter  des histoires ».  Et bien justement non. C'était tout le contraire. Lacunaire, trop court. Toujours trop court.

*

D’où vient cet empêchement à voir ? Sale affaire que les yeux. Maudite histoire surtout. Mes parents se sont aperçus très tard de ma myopie, si bien que la contemplation du monde est arrivée sur le tard — j’ai le souvenir très précis de ces platanes du Boulevard Malesherbes que j’avais enfin pu voir grâce à mes nouvelles lunettes,  à l’arrière de la voiture ; arbres scrutés, presque touchés dans le mouvement de la Renault 5  pourrie de mon père qui ne me parlait pas, il me laissait regarder le dehors, le visage transi de joie, et le monde prit tout à coup de la consistance dans sa netteté ;  désormais, pour mon plus grand bonheur et ma frayeur aussi, ce monde était devenu inévitable. 


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