Fiction (bribe)

L'histoire commence ce jour d'été où je tombais à la renverse sur un trottoir brûlant. J'avais à l'esprit un certain nombre de problèmes à régler sur des plans tout à fait différents, tête occupée par des affaires érotiques délicates dont il allait falloir trouver bientôt une issue pour ne pas souffrir et faire souffrir, tête remplie aussi de besognes matérielles et de soucis d'avenir. Au milieu d'une après-midi, alors que je traversais la rue Scribe avec ces fameux problèmes qui n'étaient pas mes enfants (j'étais plutôt leur père malheureux), je ne vis pas un aveugle qui traversait dans l'autre sens, et vlan — d'un coup sec, je me le pris dans la figure. Bien entendu, il ne se retourna pas, il avait sans doute senti qu'il m'avait frôlé, mais sans compassion, il continua son chemin tandis que je peinais à me relever en réfléchissant benoîtement à des plans pour me venger de lui. Facile de mettre KO quelqu'un qui ne vous voit pas. Facile aussi de décréter que ce genre d'homme, sous prétexte qu'il souffre d'un handicap qui rend les enfants et les vieilles dames toutes aimables et serviables à son encontre, doit toujours s'en tirer indemne, sans scrupule pour le mal qu'il a fait. Pas question de me laisser faire, me dis-je en le regardant filer d'une façon si agile que je pensais que peut-être cet homme était un imposteur qui avait vêtu la panoplie de l'aveugle pour assouvir des petits instincts violents. Je comprends très bien que l'on puisse se défouler et brusquer les vieilles dames, les enfants ou les types comme moi perdus dans les soucis, mais j'estime que la franchise est une opération morale nécessaire pour ne pas être pris pour un lâche.

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