morceau
Photographier est une manière de se frayer un chemin dans l’opacité du
monde. Faire des images, c’est créer d’infimes ouvertures ; parfois,
elles ressemblent à des petites blessures à la surface du monde ; dans
d’autres circonstances, elles font passer un peu de lumière, à l’endroit
du réel menacé d’obscurcissement, et même d’oubli. Mais je ne
photographie pas pour marquer un événement de ma vie. En images, la vie
ne m’appartient plus. Même si je pars toujours de contextes familiers,
et d’êtres proches, les photographier les font céder de leurs histoires,
elles entrent tout à coup dans une dimension ambiguë. Il y a un poète
(Roberto Juarroz) que je connais mal, mais dont j’aime beaucoup un livre
qui s’appelle Dixième poésie verticale. Il écrit notamment ceci qui me parle intimement : « Toute
image tend spontanément à écarter sa source pour devenir autonome. Et
ces mondes d’images flottantes tentent aussi de se passer des autres en
quête d’un espace plus libre. » C’est bien ce lieu-là que
je cherche dans l’acte photographique. Un espace dans lequel ce qui est
montré ne voudrait plus rien dire, ne pourrait plus jamais être relié à
une époque, ne ressemblerait plus à celui ou celle qu’il était, une
image d’un endroit dont l’identité serait tout à coup improbable.
Introuvable.