reprise


En réponse aux questions d'une femme que je ne connais pas.

Pensez-vous vos photographies comme une tentative?
Tentative est un mot qui m'intéresse, il implique que le geste mis à l'épreuve n'engage jamais rien de définitif, mais aussi, n'est jamais conditionné par quelque chose de solide qui lui préexisterait ; on tente quelque chose aussi par désespoir, parce qu'il n'y a rien d'autre de possible à ce moment ; autrement dit, la tentative est fragile, elle tient à si peu de choses, mais aussi, elle prend un sens éclatant car c'est la dernière des actions possibles face à l'imminence (intimidante) du silence et de la fin.

Pensez-vous qu'il est possible de définir un sujet précis à un projet photographique?
Il y en a qui s'en sortent très bien comme ça. je veux dire qu'ils ont une idée, quelque chose de préalable, du côté de la pensée, et ils le réalisent ; cela suppose d'être bien dans le monde, d'avoir une tête bien faite dont le contenu cherche à coïncider avec ce monde : j'ai une idée, une question, je dois trouver dehors le matériau pour y répondre, mettre de l'ordre dans le chaos ; et puis il y a d'autres sensibilités (qui pensent aussi malgré tout) qui considèrent que rien ne va, dedans comme dehors, qu'il est conséquemment impossible, sur le le plan moral ou intellectuel, d'intervenir préalablement sur le projet ; pour moi, tout est à découvrir, je suis quelqu'un, mais rien de cette personne ne porte à penser qu'il est propriétaire de lui-même, et j'ai cette idée narcissique que le monde extérieur est à l'image de cette banqueroute, cependant, une rencontre est possible : celle de l'indéfini (le monde) et de l'instable (moi-même), c'est ce qui donne lieu, parfois, à une image.

Cherchez vous une poétique dans la sélection de vos images finale ?
Je n'arrive pas à répondre à cette question. En tout cas, s'il y a une poésie, c'est par l'effet de surprise qui arrive dans les images, aux antipodes de ce que j'attendais.

Quelle place à la photographie pour vous? Je veux dire, ressentez vous quelque chose de l'ordre de la passion ou de l'indispensable?
Oui. Mais, comme toute passion, elle est prise dans un mouvement douloureux qui est celui de l'intermittence. C'est une affaire assez proustienne. L'attention aux choses n'est jamais une donnée définitive. J'en fais l'expérience ces jours-ci. Curieusement, lorsque je ne ne crois plus du tout en ce que je fais, il suffit de mimer l'état dans lequel j'étais lorsque j'étais dans "l'ordre de la passion", pour me rapprocher (sans y parvenir forcément) du foyer intense où brûle les images que j'aime. Finalement, il y a quelque chose d'anti-romantique dans ce geste, il faut souvent revenir à lui mécaniquement, faire chauffer la machine, l'œil et le cœur, pour espérer se rapprocher d'une situation ou d'une chose qui rendra l'image juste possible. C'est indispensable pour toucher à l'idéal de l'œuvre, mais surtout, pour se sentir mieux, vivant.

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