entretien à paraître dans le prochain numéro de Fisheye

  Il y a quelque chose de l'ordre du constat quand je photographie. Je prends acte de la présence d'une chose qui a provoqué mon regard. Un événement simple, souvent banal, mais seulement en apparence : un vêtement posé sur un banc, une balle de ping-pong suspendue en vol... Ces images sont rarement préméditées. Avant de photographier, je sais seulement qu'un désir de voir est pressant, mais encore sans objet véritable. C'est un état de désir obsédant, comme la faim. Quand le geste photographique intervient, il y a un basculement qui se produit. Je ne m'en rends compte qu'après-coup. La vitesse d’exécution est si vive qu'elle anesthésie un moment ma pensée. Et quand je découvre plus tard l'image, la chose la plus normale me semble tout à coup devenir bizarre. Elle évoque quelque chose d'autre. L'image  est peut-être une métaphore inconsciente. J'ai dû penser à autre chose en photographiant. Et l'image s'en souvient. La photo d'une couverture rose, pliée dans la neige, a provoqué, par exemple, chez plusieurs spectateurs, de curieuses réactions. Certains y ont vu  un lapin mort.  Antonioni a bien exploré dans Blow Up cette dimension inquiétante de l'image qui peut potentiellement cacher de l'effroi sous les auspices de la normalité. Alors il s'agit en effet, peut-être de fictions photographiques. En tout cas, tout acte de création est une histoire de transformations et de déplacement. Photographier c’est à la fois constater la présence d’une chose, mais aussi projeter sur elle je ne sais quoi d’intérieur.
 


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